Peux-tu te présenter.
P-GUEUSE : - Humain, d’un âge certain, habitante instable sur cette planète non stabilisée, ou déstabilisée, et répondant aujourd’hui au doux surnom de «pégueuse», « P-GUEUSE ».

Pourquoi ce surnom ?
P-GUEUSE : - D’abord, il me vient surtout du groupe de potes qu’on était dans les années 80, « LES GUEUX » auquel nous avons tous rajouté notre initiale devant. 
Féminin ou pas, j’en ai rien à foutre. 
Ensemble nous étions «dégueux» (dit-elle en faisant la grimace).
Et maintenant, ça correspond juste à une de mes activités annexes, « Pégueux », ca veut dire « collant » par chez moi. Et j’ai aussi gardé le « Gueux » parce qu’on a un peu trainé avec les cloches, et aussi les punk à un certain temps pas glorieux pour notre santé, et que je n’oublie pas d’où je viens. Autre question ?

Quand as-tu commencé à exercer cette « technique » du collage d’autocollants ?
P-GUEUSE : - Sérieusement, c’est quand sont arrivés en masse dans le petit supermarché de mon quartier les étiquettes autocollantes pour mettre le prix dessus les produits en rayon. J’ai commencé avec une machine chourée dans le hangar près de chez moi et avec un carton avec des beaux rouleaux de centaines de belles étiquettes neuves qui allaient avec,… Ce qui nous permettait de faire des étiquettes de prix, et j’en mettais par-tout.
Mais ça, ça fait bien longtemps. Je faisais des faux prix et je collais ça sur les produits. Coller des fausses étiquettes sur les vrais prix,… histoire de rogner un peu la marge des épiceries. 

La nouvelle Robin des Bois ?
P-GUEUSE : - Non, non, non ! Pas du tout. A ce moment-là, tout comme aujourd’hui encore, y avait rien de politique en moi, juste une branleuse que j’étais,... et que je reste malgré mon âge avancé !

Qui t’a influencée ou t’as donné envie de coller ?
P-GUEUSE : - C’est ma maman la responsable ! Un jour, gamine, elle m’a ramenée de l’école où elle allait aussi bosser, une énorme, mais une é-nor-me quantité d’étiquettes-gomettes, je crois que c’était un gros carton, avec toutes les formes possibles et j’en ai mis partout durant les vacances qui ont suivi. Je peux te dire qu’on en a retrouvées dans tous les campings d’ici à Lisboa, dans toutes les stations essence,... où on est passé. Je crois que ça faisait marrer mes vieux. C’était à ce moment-là un simple passe-temps…

Et maintenant, ça représente quoi cette pratique de colleuse ?
P-GUEUSE : - J’en sais trop rien. Un hobby. Une activité comme celle de mes potes qui font de la zique ou qui bricolent leur bécane ou font des expos,… Y a pas vraiment d’idée derrière tout ça, peut-être un petit besoin de laisser des marques de mon passage avant de crever.
Ca me fait toujours marrer quand je reviens dans une ville et que je retrouve des autocollants que j’ai posés il y a des années. Certains sont cramés, d’autres tiennent bien la route. Et c’est pas souvent les plus beaux qui tiennent le coup.

Tu as aussi fait quelques expos
P-GUEUSE : - Bin ouais ! Mais pas sous ce pseudo. Il y a même quelques dizaines de toiles qui trainent chez des potes de l’époque. C’était un truc qu’on m’avait demandé comme ça, juste histoire de participer avec des amis, quelques expos collectives,… qui n’ont abouti à rien en fait, si ce n’est à de bonnes soirées entre amis.

Tu voyages beaucoup ?
P-GUEUSE : - Oui, énormément. Souvent comme régisseuse, je suis amenée à être sur la route, dans les airs, ou dans les transports en commun presque tous les jours. Et j’en pro-fi-te pour m’étaler.
Ca m est arrivée 2 ou 3 fois quand même, que dans des douanes on me demande ce que c est que toutes ces pochettes d autocollants dans mes affaires : je leur répond que c est des souvenirs pour mes petits enfants. Et ils me foutent la paix aussi sec.

Ou te fournis-tu en autocollants ?
P-GUEUSE : - Comme je traine aussi pas mal dans le milieu des imprimeurs, de la promo, du packaging et des professionnels de l’emballage… il y a toujours des pièces à coller qui sont destinées au rebus,… ou pas. Suffit donc de se servir à la source !

Y a-t-il un autocollant en particulier dont tu as vraiment abusé et qu’on aurait pu repérer ?
P-GUEUSE : - Non, non, je suis pas fétichiste. Je tape dans le tas sans vraiment savoir ce qu’il y a écrit dessus, je plonge la main dans le sac. Parfois, c’est rigolo, parfois pas. Mais c’est ça qui est aussi kiffant.
Quand je trouve des autocollants genre « promotion », je vais ensuite rapido dans des magasins un peu chicos – mais pas trop - pour en coller sur leurs produits de luxe.
Mais j’ai eu aussi une petite vague « fragile » : une amie m’avait refilé un carton plein de petits autocollants « fragile », peut-être un truc de la poste, et ça, c’est sur qu’on en a vu et revu partout, mais sans savoir que c’était une blague parce que je les avais mis dans la totalité sur du matériel qui était un peu fragile. J’ai aussi mis des autocollants « danger électricité » sur pas mal de matériels électriques : va savoir que ça a été collé par un anonyme ?

T’as une idée du nombre d’autocollants qui ont détérioré l’environnement urbain par ta faute ?
P-GUEUSE : - Aucune idée précise … Surement des dizaines de milliers. Tu sais ça va vite, 10 par là, une centaine par ci, 50 par là, sur plusieurs décennies,…

Crois-tu que tu vas continuer longtemps ?
P-GUEUSE : - Bof, j’en sais rien. Mais pourquoi m’arrêter, je ne fais de mal à personne. Ca fait plus de trente ans maintenant que je pègue et ça m’éclate toujours autant, même si j’y vais un peu mollo depuis quelques années. Mais je suis toujours là, toujours prête pour une balade digestive en pleine cohue avec des autocollants plein les poches.



Tu m’as dit que c’était la première fois que tu répondais à une interview sur ce sujet. Pourquoi ?
Tu as peur de devenir un peu « connue » ?
P-GUEUSE : - Ha ! Ha ! D’abord, c’est la première fois que je réponds sur cette pratique parce que c’est bien la première fois qu’on me pose des questions sur ça de cette manière ! J’ai aussi répondu parce que tu me l’as demandé dix mille fois en 15 ans depuis que tu sais que je fais ça parce que tu connais très bien un de mes fils qui t en a parlé.
Quant à devenir connue, ça veux dire quoi ? Ca sert à quelque chose ? Ca va changer la face de ce putain de monde ? Non !
Je m’expose pas mal d’autre part, et l’activité de collage est vraiment en screud, vous êtes pas nombreux à me connaître et ce n’est gênant en rien, bien au contraire !!
Ca me fait des vacances de penser à autre chose en collant à la barbe et au nez de tous. C’est un plaisir très perso, certains diront même que c’est de la branlette. Et alors !? Pour moi, c’est plus de la piraterie.

Quel est ton plus beau coup ?
P-GUEUSE : - Jamais pé-cho !! C’est ça mon plus beau coup !

Tu peux t’en passer ?
P-GUEUSE : - Si-si !! Mais dans des moments de vie, tu essayes de t’extraire de la réalité et de penser à autre chose que ce quotidien que tu subis plus ou moins..., et moi c’est en collant !

Philosophe ?
P-GUEUSE : - (sourire) Moi ? Non ! Juste consciente que c’est la merde autour de nous et qu’un petit plaisir perso ne fait pas de mal.

Fabriques-tu tes autocollants ?
P-GUEUSE : - Oui, ca m’est arrivé, à l’aide d’une photocopieuse, et ça m’arrive encore de trainer à coté de ces machines. J’avais une fameuse photocopieuse un certain temps dans mon bureau et j’avais aussi des planches vierges pour faire des autocollants A4 et tu sais bien ce qu’on peut faire avec.

Tes fameux détournements ?
P-GUEUSE : - Oui mais pas que ça non plus. Des autocollants qu’on déposait à l’entrée des magasins et qui interdisaient l’entrée aux riches, aux mémères des gentils toutous,…. Et aussi quelques vrais faux timbres – ça, c’était vraiment excellent - quand j’ai découvert qu’il y en avait des jolis, à bords droits, et autocollants,…

Hors la loi ?
P-GUEUSE : - Bof, mais de bien bas étage alors,… Et quand j’ai rien dans mon sac, j’achète ou je chourave du ruban adhésif transparent et j’y colle des mots ou des tofs découpés dans les journaux que je bouquine dans les transports en commun, et après je les pose où je peux. Ca nécessite un peu plus de manutention.
Y a aussi un truc que je fais quand je suis super en forme, c’est trouver des rouleaux, chez mes potes de la pub, de papiers adhésifs colorés ou pas, et dedans je découpe des formes, qui sont des lettres, étoiles, cœurs, carrés, ronds, bestioles,… pas vraiment besoin de savoir dessiner, juste besoin d’une paire de ciseaux ou d’une lame de cutter. Là aussi, faut un peu de temps mais le résultat est top.

As-tu des complices ?
P-GUEUSE : - Mon ami de l’époque a partagé tout ça avec moi un certain temps, son truc c’était les autocollants panini ou du genre, ceux des footballeurs, il leurs coupait la teu-tè avant de les coller dans la rue. Il disait qu’ils n’en avaient pas besoin pour courir après un ballon. (rires)
Sinon, je peux te le redire, je n’ai jamais eu besoin de complice. J’suis pas comme mon pote Mesrine.

Et la relève ?
P-GUEUSE : - Maintenant, j’invite mes petits enfants à faire un peu pareil chez leurs parents ou ailleurs, mais ça couine un peu, mon fils n’est pas trop OK.

Et donc, tu ne t’ais jamais faite prendre sur le fait. Comment fais-tu alors ?
P-GUEUSE : - Je te l’ai dit, y a rien de plus simple que de poser un autocollant en screud quand tu l’as préparé au creux de la main, ou au fond de ton sac ou au revers de ton zonblou. Tu passes, tu poses ta main, et l’affaire est faite. Et Don’t look back ! C’est juste un peu de prépa. C’est tout.

Tu ne fais donc que dans le petit format ?
P-GUEUSE : - Affirmatif ! C’est plus simple pour tout.

Et tu n’as jamais eu envie de passer au grand collage ?
P-GUEUSE : - Non non ! J’ai pas envie de m’emmerder, faut que ça soit rapide, simple, efficace.

Penses-tu appartenir à la grande famille des colleurs, des poseurs d’adhésifs ou autres ?
P-GUEUSE : - Non, pas vraiment. Même pas du tout !
Les jeunes sont arrivés aussi depuis longtemps avec leurs stickers de groupes rap ou de fringues ou de surboum.
Je n’ai pas d’affiliation à aucun mouvement dans ce domaine-là, et je n’en ai jamais recherché à vrai dire.

Et au niveau musique, tu peux nous dire ce qui traine dans tes écouteurs ?
P-GUEUSE : - Toujours pareil ! Du punk rock, New wave, Hardcore new-yorkais. J’ai jamais fait dans la musique de chambre !

Un groupe en particulier ?
P-GUEUSE : - Je t’avouerai que BAD BRAINS et les SLITS reviennent très souvent, très souvent. Mais y a pas un groupe spécial.

On ne te rencontre dans aucun livre, magazine ou site internet avec cette activité de colleuse : dommage non ?
P-GUEUSE : - Parce que ça ne m’intéresse pas, parce que j’en ai rien à foutre de ces conneries-là !! Et puis qu’est-ce qu’on en sait qu’on voit pas mes collages dans ces bouquins ? Tu sais, les livres que je lis sont des bouquins de musiques, de films fantastiques, de tattoos. Je ne cherche pas non plus mes collages dans les bouquins.
Je reste une anonyme, fière de l’être !! et à l’abri.
Et comme ce sont des autocollants « bidons » et très courants, ils passent inaperçus dans le paysage, du Qatar au Japon en passant par New Dheli, SF, Marseille ou Lyon.
Certains penseront peut-être que c’est de la branlette, je m’en fous, c’est une satisfaction perso. Et c’est tout. Mais moi, je demande rien aux autres. 

As tu gardé des souvenirs de toutes ces années à coller ?
P-GUEUSE : - J ai un meuble qui est entièrement recouvert d autocollants. Certains sont très vieux, presque aussi vieux que ce meuble. C est un peu un monument, à certains endroits y en a plusieurs couches. C est la seule pièce à conviction qui pourrait justifier de toutes ces années...

Pas de photos ?
P-GUEUSE : - Surtout pas !! J ai horreur de ce genre de faux souvenir de voyage où j aurai pris mes collages en photos. Tant que tu y es, pourquoi pas des photos de mes merdes dans les chiottes des hotels du monde entier ?!

Et tu n’as jamais eu envie de te rapprocher de certains acteurs du street art ?
P-GUEUSE : - Je ne me sens pas du tout concernée par le sujet. C est pas de mon âge, c est pas du « street », c est pas du « art » que je fais. Ils font leur truc et moi le mien. Je suis une a-no-ny-me qui agit dans la rue comme tous ceux qui balancent leur papier ou qui font chier leur chien sur les trottoirs : ça c’est du street art! … t’as qu’à voir ce que certains klebs arrivent à faire avec un si petit trou !

Anonyme, anonymous ?
P-GUEUSE : - Là non plus, j’ai rien à voir avec tous ces fantomas masqués. Je ne sais même pas quoi en penser en vrai si ce n’est que j’aime bien les hackers qui foutent le bordel sur la toile et font chier les grandes boites.
Le simple plaisir que me procure mon activité anonyme et non commerciale me suffit amplement. Je marque mon territoire, je marque la planète depuis des dizaines d'années. Depuis, 30, 40 ans? On s'en fout et ouais ! Les gens voient ce qu’ils veulent, ils voient ce que je fais sans savoir que c’est moi. Et alors ?! C’est pas gênant pour moi. 

Et pour presque terminer, as-tu un conseil pour ceux et celles qui se mettent au collage ?
P-GUEUSE : - Heu… je ne suis pas sur d’avoir des bons conseils… mais y a juste un truc que je faisais, c’est d’attaquer un quartier, une ville, un local, n’importe quel lieu en fait, soit en en posant un par an, ou un tous les mois. Ou alors, en bloc et tout d’un coup,… : c’est à dire que je ne m’amuse pas à coller dans un même quartier pendant des jours et des jours, à tournicoter et à y revenir. Sinon tu peux te faire remarquer. Moi, j’y allais franco, pas vraiment en screud mais je collais pendant deux heures des fois, genre cinquante ou 100 pièces, et je n’y revenais pas. L’affaire était terminée ! Blitzkrieg !

Massive attaque ?
P-GUEUSE : - Oui. T’appelle ça comme tu veux. L’effet de surprise, tout simplement, ça m’amuse. Je vais coller des dizaines de babars, des mikeys, ou des étoiles, ou des fleurs ou des pubs en ville en un seul jour et après je me casse. Comme ça, j’ai plus rien sur moi rapidement, je suis nickel. Alors que si tu reviens et reviens et reviens sur le lieu du crime avec ton arme en poche, t’as toutes les raisons d’être inquiète ou inquiétée, surtout quand t’as la gueule que j’ai. Moi avec ma gueule de métèque, j’ai toujours eu intérêt à me faire remarquer le moins possible et c’est ma méthode. Et elle marche !!

Ta pratique a évolué avec le temps ?
P-GUEUSE : - Pas vraiment. C’est plus dans le maniement que j’ai gagné en efficacité. En dextérité, oui. C’est réussir à préparer l’autocollant au fond de la poche pour avoir juste à le déposer. Là, je pense pas que je puisse faire mieux. Je suis l’inverse d’un pickpocket, moi je dépose.

Un dernier mot ?
P-GUEUSE : - Heu… Un autocollant reste un autocollant, fallait peut-être pas en faire toute une histoire ! 




Patricia "P-GUEUSE" est décédée fin 2013. Je ne pouvais que sortir (enfin!) ce qui n'était jamais sorti de mes K7 sur cette petite grande dame du collage « pirate ».

INTERVIOU de la P-GUEUSE, réalisée sur 3 jours par didier DDD, sept. 2008.