interviou du dessinateur Gil par didier DDD (parue dans le fanzine CAFZIC n°49) - 2009




Tu n’as pas toujours été un dessinateur, comment en es-tu venu à ce mode d’expression ?


- Ben si, j’ai toujours gribouillé, même qu’à ma naissance, le carton à dessins a eu du mal à passer ! Tout petit je faisais marrer mes copains en caricaturant les instits et le gardien de la cité, puis plus tard les profs au bahut et les petits chefs au boulot, et enfin les grands de ce monde dans les fanzines anars ! Sérieusement, aussi loin que je me souvienne, j’ai mis sur du papier tout ce qui me faisait peur ou qui me révoltait, pour faire rire de ce qui fait pleurer… C’est juste une de mes soupapes de sécurité, dont j’ai accessoirement fait un gagne-pain parce que j’arrive à un âge ou faire le malin sur des échafaudages ou au cul des camions, ça coince trop les vertèbres.



Quelles sont à cette époque tes références graphiques ? As-tu des « maîtres » en la matière ?

- Pour ce qui est des influences, trois journaux m’ont définitivement collé le virus : d’abord PIF où chaque semaine je me plongeais dans les aventures de Rahan, Corto Maltese, Nasdine Hodja, Le Grêlé 7-13, Docteur Justice, Teddy Ted et autres héros qui m’ont tranquillement ouvert les yeux sur le racisme, l’obscurantisme et tous les fanatismes… Des histoires de cowboys fraternisant avec les Indiens, de maquisards qui font la distinction entre nazis et allemands, de tribus préhistoriques s’initiant au partage plutôt qu’à la guerre… Fallait oser à cette époque préférer faire découvrir aux mômes que nous étions l’univers d’Hugo Pratt plutôt que de nous gaver de superhéros en collants moule-burnes qui sauvent toujours la planête malgré leur QI de moule ! Quand je vois le niveau des revues que mon fils de huit ans s’achète parfois, ça me déprime… Heureusement que j’ai du stock d’archives pour rattraper le coup !
Ensuite PILOTE, le journal de Goscinny avec Gotlib, Moebus, Gébé, Cabu, Fred, Mandryka, Brétécher, Alexis, etc… Ca partait dans tous les sens, l’imagination au pouvoir, quoi… Je plains les d’jeunes qui doivent se contenter maintenant de canards bourrés de pubs !
Enfin évidemment avec HARA-KIRI, ça a été le décrassage final ! Coté « maître », l’influence de Cabu dans mes dessins « de presse » à longtemps été évidente ! Dommage qu’il vieillisse si mal, c’est toujours décevant de voir des gens qui ont été des précurseurs devenir des vieux cons.



Peux-tu nous raconter brièvement les principales étapes de ton aventure au sein de la scène rock engagée-enragée-politique-alternative ?

- J’ai commencé à m’intéresser à la scène rock alternative très tôt, avec les premiers concerts punks en région parisienne qu’organisaient les autonomes. Je collectionnais les K7 démo de groupes absolument inconnus au son complètement pourri… C’était l’époque des concerts dans les squatts du 20ème cernés par les flics et les retransmissions chaotiques en direct sur Radio Libertaire… Avec l’explosion du rock alternatif dans les années 80, je me suis retrouvé tout naturellement à naviguer de concerts en manifs et de manifs en concerts tant les liens étaient étroits entre cette scène et le mouvement radical antifasciste alors en plein essor. Je participais aussi au fanzine rouennais ON A FAIM ! et lorsqu’en 90 j’ai quitté la banlieue parisienne pour venir vivre dans le Poitou, je me suis investi à fond dans OAF !LABEL, suite logique de l’aventure commencée en 1984. Dix ans à produire des groupes que j’aime et à se balader partout, à faire des rencontres riches et chaleureuses, le bonheur !
OAF ! liait musiques et luttes sociales mais sans intégrisme anarchiste, simplement le plaisir de faire partager des coups de coeur ! Des moments très durs aussi, parce que quand on croise beaucoup de monde dans la vie, la mort en fauche fatalement un ou deux dans le lot… Parallèlement au label, je dessinais plus pour des zines musicaux ou graphiques que dans la presse militante, l’envie de changer d’air !
OAF ! s’est arrêté en 2001 et depuis, j’ai pris de la distance avec le milieu rock, même si j’y garde de solides amitiés.



Tu étais très actif dans les années 80 : penses-tu que cette période a été plus libre pour le rock qu’aujourd’hui ? Du côté graphique, est-ce que c’était plus libre ?

- Pour la musique, oui, ça a été une période de liberté, et de liberté conquise ! Quand j’avais 15/16 ans, des concerts, y’en avait pas et quand Higelin, Trust, Renaud ou Starshooter jouaient dans ma banlieue, c’était un évènement à ne pas rater… Ca a quand même bien bougé après ! La démerde a bien fonctionné, l’entraide aussi et une scène a existé avec des dizaines de groupes, un réseau d’associations, une presse parallèle et libre, des radios non commerciales, etc… La liberté, c’est fragile et comme aujourd’hui, les groupes et le public sont moins exigeants, elle recule comme partout ailleurs.
Côté graphique, la possibilité de photocopier à des centaines d’exemplaires son travail, de faire son zine et de le distribuer dans un réseau , c’était plus jouissif que d’attendre une réponse des éditeurs pour ceux qui voulaient se faire connaître à un public plus large.



Tes dessins ont souvent fait référence au milieu skin. Peux-tu nous faire un rapide historique de ce mouvement tel que tu l’as vu ?

- Quand tu dessines pour des journaux antifascistes des années 80, t’es forcé de dessiner des skinheads puisqu’à l’époque, c’était un réel problème, dans les concerts, les stades et dans la rue.
Maintenant, contrairement à la plupart de mes petits camarades, je n’étais pas à la fac mais je bossais dans des entrepôts et des skins, j’en ai croisé qui n’avait rien de commun avec les fascistes qui attaquaient les manifs étudiantes. C’étaient juste de braves mecs qui aimaient le ska, le reggae et la bière, pas politisés pour un rond mais farouchement antiracistes. Je ne sais pas vraiment ce que c’est, le « mouvement skinhead »… Les fafs ont pour seul mérite d’être clairs, ceux qui se revendiquent « apolitiques » sont souvent chelous dès que tu discutes un peu et les Reds ne sont pas toujours d’une grande finesse… Je me méfie des gens qui s’habillent tous pareils et qui aiment les défilés et les soirées viriles. Se raser le crâne et porter des grosses pompes en fer ne me gêne pas du tout, mais quand ça devient juste un prétexte pour pêter la gueule à tout ce qui n’a pas le look, je ne suis pas client…



Fanzine : regrettes-tu le bon vieux temps du fanzine seulement en version papier ? Tu as largement utilisé ce support, qu’avait-il de séduisant pour toi ?

- Je continue à dessiner pour au moins deux fanzines papier, qui deviennent d’ailleurs de véritables revues de qualité : Barricata et Chéribibi. Jamais rien ne remplacera le papier, ni le plaisir quasi sexuel de sentir la pointe du feutre sur la feuille blanche ! Et puis lire un webzine aux chiottes, c’est pas franchement pratique…



Tu es un dessinateur-illustrateur militant : peux-tu nous dire quels sont les combats que tu mènes avec tes crayons aujourd’hui?

- A part peut-être taper sur les staliniens parce qu’il en reste moins de vivants que de vélociraptors en 2009 mais sinon les cibles restent désespérément les mêmes… Les fanatiques religieux, la police, les militaires, le fric, le pouvoir… Et c’est pas près de changer ! Et comme ça me gonfle de plus en plus, je ne fais plus trop de dessins d’actualité, je préfère bosser des illustrations intemporelles mais qui dénoncent toujours les mêmes tares.



Politiquement parlant, que penses-tu de l’ambiance générale ? La baisse du moral des français est-elle un bon sujet pour un dessinateur d’actualité ?

- Je crois que l’expression désuette de « fascisme rampant » correspondant tout à fait à l’époque que nous vivons. Lorsque tu vis à la campagne, l’étau policier qui se referme tous les jours est moins étouffant au quotidien, mais si tu es un Guinéen sans papiers à Paris et que tu sors acheter ton pain, t’es aussi serein qu’un Juif français en 1940. Dans mon coin comme partout, les entreprises ferment, les chômeurs se multiplient avec tous les dangers que ça entraine, les mecs qui passent la journée au bistrot et qui ont tous un fusil de chasse, c’est pas bon… On se prépare des jours meilleurs ! Même qu’on nous conditionne bien avec ça : la criiiiise arrive, alors bosse ou flambe ton RMI et ferme ta gueule ! Tout ce qui dépasse sera écrabouillé en moins de deux, de Tarnac au Neuf-trois !
Je pense comme tout le monde que ça va pêter, mais comme tout le monde, je suis incapable de dire où, quand, comment et ce qui en sortira ! Cela dit, si t’as été faire un tour dans les supermarchés pour les fêtes de fin d’année, y’avait quand même que des caddies bourrés de bouffe et de jouets, crise ou pas… Tant qu’on peut se payer le luxe de se laver le cul avec de l’eau potable, on n’est pas les plus malheureux sur la planète…



Noir et blanc : penses-tu qu’il est plus intéressant de travailler en NB ? Oblige-t-il plus à se décarcasser, le rendu final est-il plus fort qu’avec la couleur ?

- Franchement, ce que je préfère, c’est bosser à l’acrylique noir/gris/blanc, c’est ce qui correspond le plus à mon chaos mental ! La couleur, je la manie avec parcimonie, sans doute parce que j’ai un univers graphique déjà assez joyeux comme ça… Je réserve la couleur à mes travaux alimentaires (visuels de T-shirts, plaquettes d’assos, pochettes, etc…) et je garde souvent le noir pour les dessins plus personnels.



Que penses-tu des pochettes actuelles des disques rock ?

- Heureusement que le rap a ramené les dessinateurs et les peintres dans son sillage parce que les pochettes Photoshop avec trois mille effets spéciaux, bof… Mais il y a autant de pochettes que de groupes, alors aujourd’hui comme hier, y’en a de réussies et des ratées, voilà.



Infographie : utilises-tu et crois-tu en cette technologie ou es-tu encore un adepte forcené du crayon-papier ?

- Je suis allergique aux machines et j’en ai vite eu marre d’être dépendant d’un vieux Mac pour travailler, donc en général, je bosse aux feutres ou à la peinture et je scanne le dessin terminé. Au moins, quand je cherche un vieux truc, j’ai juste à chopper le classeur correspondant au lieu de me retrouver comme un con avec un CD rayé ou une disquette bousillée que je ne peux plus ouvrir ! Malheureusement de plus en plus « d’employeurs » réclament des dessins faits à la palette graphique, mais je les emmerde. Même pour les lettrages, je me sers encore d’un vieux stock de lettres adhésives Letraset, c’est te dire le dinosaure !



Penses-tu que les revues rock – celles qui se vendent - s’intéressent suffisamment à ceux et celles qui font l’image (les photographes, dessinateurs, illustrateurs, vidéastes, graphistes,…) ?

- Je n’en sais rien car à part feuilleter Rock & Folk deux fois par an chez le dentiste, je ne lis pas cette presse.



On retrouve des dessins de toi un peu partout : sur des fanzines, des murs, des autocollants, des T-shirts, des disques,… Existe-t-il un support qui t’intéresse également et que tu n’as pas encore attaqué ?

- Pour le plaisir, la toile car ça fait un bail que je n’y ai pas goutté, manque de temps et surtout de place.



Es-tu attentif au livret et aux visuels quand tu as une galette vinyl ou CD entre les mains ? Au fait, as-tu une préférence pour un de ces deux supports ?

- Le vinyl, c’était forcément plus beau, mais il existe des pochettes CD ou DVD qui sont vraiment des objets magnifiques. C’est le coût de la chose qui pose problème…J’ai souvent acheté un disque juste parce que sa pochette m’avait tapé dans l’œil, sans avoir la moindre idée du contenu, et j’ai eu parfois de bonnes surprises.



« Très beaucoup » des groupes musicaux et des autres artistes associés à la mouvance rock, ont un « myspace » - comme on disait avant qu’ils avaient un « site internet». Ca te botte ce monde « myspace » ?

- Pas du tout… Je répond à peine au téléphone, je n’ai pas de portable, et quand je veux retrouver des potes, c’est autour d’une table bien garnie de bouteilles et de cochonnaille, au coin du feu ou à poil sous le soleil, pas devant un écran. J’ai un site qui n’a pas été remis à jour depuis des lustres, c’est bien pratique pour présenter mon boulot mais c’est tout.



As-tu toujours des contacts avec la scène rock-reggae française ? Si oui, cette même scène te fait-elle travailler et te permet-elle aujourd’hui de bouffer ?

- Les contacts que j’ai gardés, ce sont avec des gens que je retrouve pour des moments évoqués dans ta question précédente, pas des relations de travail. On fait la chouille parce qu’on est contents de se revoir, tout bêtement. Du reste, je n’ai pas bossé sur un disque depuis un bon moment déjà parce que si je n’aime pas les gens qui jouent dedans, ça ne me branche pas.



Comment se porte cette scène rock-reggae hexagonale ?

- J’ai décroché vers 2000 quand ça commençait à devenir dur, avec les groupes qui étaient intermittents du spectacle et les difficultés qu’on connaît, les distributeurs qui se cassaient la gueule, etc… Je ne sais pas vraiment où les choses en sont maintenant, mais quand j’écoute les potes qui sont toujours dedans, ça semble beaucoup moins facile pour un groupe aujourd’hui de trouver des dates, de distribuer son disque…



Y a t’il des groupes musicaux actuels ou « vieille école » que tu nous recommandes afin de parfaire notre éducation musicale ?

- A chacun de trouver tout seul ce qu’il aime, moi, le meilleur concert que j’ai vu dernièrement et qui m’a rendu heureux pour la soirée au moins, c’est les p’tits gars du Ministère des Affaires Populaires (MAP)… A la fois drôles et politiques, un régal !



Y a t’il des groupes ou artistes avec qui tu aurais aimé travailler ?

- Comme je te l’ai dis, si il m’arrive de dessiner pour les groupes, c’est parce que ce sont des copains et pour le moment, j’ai fait le tour.



Le rock et le reggae ont-ils toujours les faveurs de ta platine disques ? Ecoutes-tu d’autres styles musicaux, et lesquels ?

- J’écoute de tout, les sectes m’emmerdent… Je bloque encore sur la techno, le hard-rock et la country (encore que Mojo Dixon et Jello Biaffra, ça passe…) mais je ne suis pas fermé. Au mois d’août, je me suis fait dans la même nuit une chorale de gospel à la cathédrale de Poitiers, puis un concert de hardcore dans un bar pour me finir dans un sound system africain ! Là, je répond à tes questions en écoutant un bon vieux Ray Charles de 1953… A OAF!, nous avions un slogan qui disait « ouvre tes oreilles, ta tête suivra ! » et j’en suis resté à ça.



Que faut-il à un artiste musical ou un groupe pour qu’il attire ton attention et que ça te donne envie de te procurer un de ses albums ?

- Qu’il déclare sur l’honneur haïr Sarkozy, qu’il milite clairement pour instaurer le communisme libertaire, qu’il héberge plusieurs familles de sans-papiers chez lui, qu’il arrache des plants de maïs OGM, qu’il soit pro-palestinien et qu’il n’ait pas eu de grand-père collabo pendant l’occupation. Sinon, qu’il ait du talent, aussi.



La crise du disque (comme ils disent), t’en pense quoi ?

- Ils font semblant de pleurer contre le piratage qu’ils organisent eux-mêmes en vendant les machines qui servent à télécharger la musique. Je ne m’inquiète pas trop pour eux, ça à l’air de bien tourner, leur bizness…



Crois-tu qu’on soit sorti de la préhistoire du Rock français ?

- Tant que Johnny est debout, le rock français est vivant ! Alluuuuuumez le feuuu !



Quelles sont les différences entre les rockers des villes et les rockers des champs ?

- le rockeur des champs est plus terre à terre parce que pour voir un concert, faut avoir envie de se taper des bornes en bagnole par tous les temps et toute l’année, tandis que le rocker des villes est fatigué d’avance parce qu’il y a trois stations de métro pour aller de chez lui à la salle. Et le rocker des champs est en meilleure santé parce qu’il mange bien et fume bio pendant que le rocker des villes bouffe chez Mac Do et se défonce au shit pourri qui engraisse la Mafia. (Je vais encore me faire des amis, tiens…)



Y a t’il une vie en dehors des grosses villes ?

- Il y a LA vie en dehors de grandes villes ! C’est plus sain pour y élever un enfant à peu près correctement…


Qu’aimerais-tu que nous retenions de ton œuvre ? Y a t’il un dessin qui te caractérise, pour lequel tu te dis « S’il ne faut en garder qu’un, c’est celui-là » ?

- Je m’en fous complètement !



De quoi avons-nous oublié de parler et dont tu voudrais nous faire part ?