interviou parue dans BEURRE NOIR 16 - mai 2009




Qui sont les Monsieur LauL, Monsieur Bol, Monsieur Lol : une seule et même personne ?


LauL griffe les planches à dessins, Bol brûle les planches à dessein, «lol » signifie aujourd’hui « mort de rire» mais j’aurais mauvaise grâce à te laisser croire que j’en suis l’instigateur. Même si ça ne trahit pas l’idée.

Quel est ton parcours scolaire, à quoi te destinait ta famille ?

On ne peut pas appeler ça un parcours, on reste assis tout le temps, comme à la messe, au théâtre, dans les salles d’attente, tous ces endroits où on cherche à occuper ses yeux et les doigts et l’esprit avec autre chose pour avancer un peu.
Dans l’idéal, polytechnicien, mais très vite consciente que j’étais un impoli technicien, ils ont craint que je ne tripote les matières plastiques . Désormais, ils ont accepté mon moyen d’expression.

Quand t’avais 15 ou 20 ans, est ce que tu imaginais avoir un jour l’age que tu as maintenant ?

Entre 15 et 20 ans, on pense peu ou mal, on est immortel et on est loin de se voir, ni sage, ni respectable, et encore moins de s’imaginer, qu’à presque 50 ans, répondant, sans ricaner, à l’interview d’un fanzine de 2009, sur des broutilles de la fin du siècle précédent.

Y a 20 ans ou plus, tu as dit que « la meilleure provocation, c’était de se moquer de soi-même ». T’es toujours d’accord avec ces mots ?

Je suis la preuve vivante que le ridicule ne tue pas.
« Laisse-les te jeter des pierres, il se pourrait que ces pierres te fassent, avec le temps, un piédestal. »

Bazooka, Situ, Dada : comment te situes tu dans ces courants ?

Sympathisant du nihilisme, gourmand du chaos, friand de la libre expression, fonctionnaire de l’absurde, héritier de que dalle, gourmet de cadavres exquis, adorateur de foutaises, vagabond de l’idée ; syndicaliste du punk ; inventeur du goûter BN à la vache qui rit ; gréviste de la vacance, intermittent du jeu de massacre, visiteur de lieux communs...

A l’époque de Lucrate Milk, tu ne t’ imaginais pas vivre un jour de la musique. Tu t’imaginais vivre de quoi alors ? De ton stylo, de ton poste à souder ? Tu y pensais déjà ?

Lucrate , ça rapporte environs 37 euros de Sacem par an et c’est déjà une surprise lucrative.
Je n’ai jamais cru en moi, encore plus humble musicien que modeste sculpteur, je rêvais d’être le plus piètre des clowns, qui trépasse dès sa première cascade foireuse… Et même là, j’ai échoué. Quel bol !
Punk à 20 ans, on ne subodore pas vivre de quelque chose, on suppute de crever de quelque chose.

Tu as fait – comme presque tous les jeunes - quelques petites bêtises (les grosses on n’en parlera pas) dont celle d’écrire sur les murs avec de la graisse. Tu peux nous parler de cette pratique artistique ?

N’as tu jamais écrit ton nom sur la neige avec ton pipi ?
Décliner l’ouvrage en changeant de support, en changeant de stylo, en changeant de main…

C’est presque inimaginable le nombre de jeux qu’on a pu inventer rien que pour l’extase, l’aventure, le risque, l’adrénaline, l’endomorphine …Du sommet des grues de chantier, par –10°, où on se procurait les bombes de graisse, aux sous-sols des carriers parisiens pour pique-niquer, des couloirs des hôpitaux militaires, avec tambours et trompettes, aux jardins des instituts de sourds-muets, sur la pointe des pieds, du rocher du zoo de Vincennes, jouant à chat perché avec les singes, au père Lachaise qu’on traversait sans toucher le sol, de commissariat de quartier, où nous étions leurs hôtes perpétuels, à notre squat, ex hôpital Curie où ils étaient nos invités ponctuels, faire des descentes de skate dans les parking souterrains de Montparnasse, passer à l’abordage des bateaux-mouches, uniquement pour tromper l’oisiveté et donner un sens au mot « zoner » ; Et je ne parle pas des autres terrains de jeux qu’offre aussi la banlieue, et la province donc…

Avec les Lucrate, un de vos slogans était « plaire, ça ne nous dit rien ». Et à ta famille, ça lui plaisait ce que tu faisais ?

Ce n’était pas le but avoué, mais mon père, venu s’encanailler à la biennale de paris, a eu cette belle phrase : « Vous avez été très digne de votre public !»

Au fait, ton père était-il vraiment un général ? Si oui, tu as donc été pistonné pour tes 3 jours, non ?

Affirmatif, mais aussi un homme de principe, aucun piston, donc même pour un fiston… Par contre, j’avais mon amoureuse, fille de pharmacien, qui m’a permis de pistonner deux douzaines de P4 . Pour mon cas perso, j’ai avoué au psy : « je ne vais pas réécrire Zola, vous raconter que ma mère fait le trottoir, mais si je vous dis que mon père est général… » Il a eu l’indulgence de considérer que j’avais eu mon taf.

Les jeunes punks de ton époque étaient-ils pour la plupart des enfants de bonnes familles ?

Oui, en tout cas, les plus fréquentables. Devenir punk, alors , c’était assumer le choix fait d’être, ou plutôt de s’afficher comme un sale bouffon de nègre pédé drogué alcoolique et fier de l’arborer ; ça n’a aucun mérite si tu es né comme ça.

Petit, tu voulais être clown : quel genre de clown étais-tu dans les Bérus ?

Le suicidaire maladroit qui foire systématiquement sa noble entreprise, râle Bol !
On ne répétait jamais la scénographie : selon l’endroit, l’espace, l’ambiance aussi, et avec ce qu’on trouvait alentours (échelle, caddy, trampoline, bouffe, passerelle, rideaux poutrelles, échafaudage… et quelques breuvages), on improvisait sans se consulter, puis, avec la connivence entre Elno et moi, la magie opérait presque à chaque fois. ..juste on décidait pendant l’intro du morceau qui serait le renard et qui le keuf, qui Laurel et qui Hardy, qui le salaud, qui le pendu…

Quelles prédispositions avais-tu à devenir un Béru toi même ?

Juste l’envie de mettre la tête dans le mur, avec grâce et volupté, avec de l’altitude et de l’élan.
Quel putain de Bol, merde !

Dans Lucrate Milk et les Bérus, tu as vécu près de monsieur HELNO, celui qui deviendra le chanteur des NEGRESSES VERTES. Tu peux nous dire qui était vraiment ce bonhomme ?

Il faudrait un bouquin gros comme le bottin pour raconter les milles anecdotes savoureuses, croustillantes, graves ou légères ; un autre aussi épais pour dire sa grâce, son talent, sa classe ;
un troisième tome du même acabit, pour exprimer mon amitié, mon admiration, mon addiction à lui.
Par contre, je peux, en une ligne lui trouver un gros défaut : il n’est plus là.

T’étais à l’aise avec la violence et l’agressivité (parfois jouées) véhiculées dans le mouvement punk ?

Non, très mal à l’aise, voire nauséeux, mais le danger de s’y frotter en les ridiculisant ostensiblement était un excellent moyen d’arriver à mes fins, ma fin.
Mais en vain. Foutu bol !

Cirque et psychiatrie font ils bon ménage ?

Oui.
Comme Loran et François.
Comme dindon et farce.
Comme bites et croix gammées


Tu as beaucoup dessiné pour les Bérus. Il me semble qu’il y avait beaucoup de matière pour le faire. Est-ce que c’était vraiment facile de croquer un troupeau d’rock comme lui ?

François qui écrivait, sans mâcher ses mots, ce que j’aspirais à dessiner, sans mâchouiller mon stylo, et ce, dans le même espace-temps, quelle aubaine !
Les personnages , quant à eux, étaient d’autant plus faciles à croquer qu’ils étaient déjà des caricatures outrancières .
J’ai adopté un style et un stylo propices, et, surtout j’avais l’avantage de baigner dans la baig’noire-même où des sèches crevées avaient mouillé l’ancre et où François trempait sa plume.

Tu as fait en ce temps-là un dessin d’un homme avec un turban qui cachait un objet explosif rond comme un petit ballon, et avec une mèche qui dépassait. Que penses tu de l’ histoire des caricatures de Mahomet ?

Qu’on aurait eu une publicité du tonnerre si ça avait fait le même pataquès à l’époque, mais c’était un temps béni où Hara Kiri, Lucrate milk, les Bérus, Bazooka, Coluche, Desproges, Ribes et autres Pasqua avaient, en dépit du grotesque affiché, la liberté de paraître.

Avec les Béru , tout comme avec les Lucrate, le poids du collectif t’a été très pesant. Est ce que je me trompe ? Arrives-tu à travailler tout seul, vraiment tout seul ?

C’est le problème des déviants, comme moi, ils sont indispensables pour qu’un groupe progresse, comme il faut un leader et des suiveurs, seulement lui, n’est ni un moteur, ni une roue (même pas une roue de secours) il est un frein à main, et il nuit par définition à l’avancement. Ça grince ou ça crisse quand il fonctionne.
Je suis, par exemple, assez fier d’avoir fondé un syndicat dans un groupe punk, d’avoir lancé un , deux ou trois mouvements de grève, d’avoir démissionné, puis réintégré, puis récidivé, etc, même si aujourd’hui, ça semble surréaliste, grotesque même.

Jojo (un de tes ex-comparses dans les Bérus) a écrit que le côté imagé des Bérus n’aurait jamais eu le rayonnement qu’il a eu sans toi. Ca fait quoi d’être responsable de tout ça ?

Ca me flatte, surtout venant d’un esthète à la rétine aussi pointue, et qui, punktuellement me donne matière à mirer des créations dont lui seul connaît les sources.
Les textes des Béru ça m’a toujours parlé, remué, ému et inspiré, et ce spontanément à chacune des évolutions du groupe à travers ses différentes époques épiques et punk et colégram’… pardon.
(par exemple, quand nous avons eu la première réunion-rencontre pour concevoir le clip de « deux clowns », j’ai proposé ma vision des choses avec des parallèles « vie-cirque, clodo-clowns, pinard-rêve, amitié-corde au cou… » et j’ai été fustigé, incendié, douché, habillé pour l’hiver, et suis (encore) parti en grinçant. Finalement, une fois le clip fini, c’était, trait pour trait, celui que j’avais esquissé, en trois mots, (alors que je ne m’étais en rien investi dans celui-ci), ce qui n’ôte rien au talent du réalisateur .)
Mais si vous permettez, je plaide responsable, mais pas coupable. Bon sang !

Il dit aussi que Masto et toi aviez un « humour d’abattoir ». Tu peux nous expliquer ce qu’il veut dire par là ?

Certes, mais cet humour n’est-il pas compatible avec son humour bovin .

J’ai plusieurs fois entendu des acteurs de la mouvance punk dire qu’ils ont joué à « être punk », plus qu’être véritablement punk. Mais est-ce que ce n’est pas ça « être punk » : inventer sa vie, et la jouer ? Es-tu celui que t’as envie d’être ?

J’irai même plus loin, jouer au sens propre, comme un enfant apprend, s’invente par jeu ;
c’est tout ce à quoi j’aspire, être créatif pour être récréatif. J’exècre le mot «Travail ». Je crois que je n’ai jamais joué à travailler, ni travaillé à jouer, d’ailleurs ; c’est sûrement pour ça que j’immobilise des outils, aujourd’hui, comme pour les rendre innoutilisables.
Si les gens travaillaient avec le même sérieux que les enfants quand ils jouent, le monde serait plus réjouissant.
Je n’ai aucune honte, aucun remord, aucun regret, mais, d’ici à m’en féliciter…
J’aurais quand même préféré être tel le poisson, pas né.

Quels groupes composent la bande-son de ta vie ? Quels sont les titres qui te collent aux oreilles ?

Dans le désordre, Warum Joe, X-ray-spex, Undertones, Bulldozer, Sex pistols, Damned, Météors, Sttellla, les Nonnes Troppo, Bérurier noir, Crass, MKB, Martin Circus, Wampas, Nina Hagen, Ludwig, Cockney reject, Public Image Ltd, Parabellum, Killing Joke, et aussi, des Brel, Brassens, Vian, Dutronc, Nino Ferrer, Antoine, Barbara, et aussi des King Krimson, Génésis, sans oublier les inavouables Becaud, Adamo, Marcel Amont, les frères Jacques mais c’était un temps où nos premières découvertes étaient les 45 tours de nos parents.
« Regarde bien, petit » J . Brel
« Noir les horreurs » BXN
« Vent divin » Warum Joe
“ Mongoloïd “ Devo
“ Marche “ Ludwig ...

Je sais bien que tu n’es pas arrivé à la ligne d’arrivée de ta vie, mais quel bilan ferais-tu de toutes tes années punk : est-ce un handicap ou un avantage d’être passé par là ?

J’ai plein de dessins qui répondraient à cette question :
« Un punk qui n’est pas mort est un bouffon »
« votre présent d’aujourd’hui n’a rien à envier à notre No future d’hier. »

As-tu conscience d’avoir fait peur ?

J’espère bien, avec le mal que je me suis donné.

Es-tu allé aussi loin que tu voulais dans les prises de risques ?

La preuve que non, puisqu’on peut encore extirper ces souvenirs de mes méninges, sans exhumation ni trépanation préalable.

Il fut un même temps où avec Alteau vous vous êtes « illustrés » en croquant les Bérus : c’était un même combat pour vous deux. Y avait-il des rivalités ? Qu’est ce qui a fait que tu es resté et pas lui ?

Alteau était tellement bête qu’il aurait pu se tatouer du Chester ! (en plus, il était végétarien, il n’a jamais dû croquer personne.)

Ca fait quoi de savoir que des jeunes (et moins jeunes) ont des tatouages de tes dessins ?

J’allais répondre : « ça leur passera avant que ça ne me reprenne »
………..
Mais, peut-être que ça me prendra avant que ça ne leur passe ; sûrement, même.

Etre un polyplasticien aujourd’hui, ça consiste en quoi exactement?

Utiliser les moult tours que j’ai à mon arc et les maintes cordes que j’ai dans mon sac pour faire, avec du scotch et des agrafes, jaillir l’étincelle qui fera déborder le vase et la goutte d’eau qui mettra le feu aux poudres.
Sérieusement, c’est prendre du plaisir à jouir du fait de s’amuser en jouant à distraire.

A presque 50 ans, es-tu enfin devenu « adulte et sage » ?

On ne devient adulte que quand on a des gosses, on ne devient sage que quand on a un cancer, par exemple.
Mais pour les deux, je me suis pas trop dépêché. J’y viens.

Outils de jardin, métal rouillé, Beaurepaire,… c’est très champêtre tout ça. Tu es devenu un « campagnard » ?

Aspirant à une certaine mollesse philosophique, et ayant un goût certain pour l’authenticité et la simplicité, j’avoue ne pas regretter d’avoir quitté la capitale. Tu sais, il y a aussi des ploucs à la campagne, mais à une densité moindre.

Beaucoup de punks d’hier sont branchés « écolo » aujourd’hui. T’en penses quoi de ce changement de vie ?

Ils feraient mieux d’être morts et enterrés, d’abord ça serait plus biopunk, ça polluerait moins longtemps…
… Et ça nourrirait les vers qui…
… Fertiliseraient la terre qui…
…De toute façon, n’en a plus pour longtemps .

Aussi bien dans ton « univers sculptural » (avec tes sculptures avec des sourires, des tirages de langue, des animaux de la ferme,…) que dans tes pliages-déformations de photos, je trouve de la bonne humeur et de la joie. As-tu trouvé un média dans lequel ton clown joyeux va s’épanouir ?

L’humour n’est que la politesse du désespoir.

Le clown dessinateur que tu es va t-il bientôt sortir un vrai gros recueil de dessins ?

A l’instigation de Paria, et avec un pote, le K, on a ficelé ça (Le Bol ivre) proprement, avec tous les meilleurs dessins (250) de l’époque, de Lucrate aux Endimanchés en passant par les Béru, les Ludwig, Nonnes Troppo et aussi les Béru, originaux ou inédits ou autres rébus bérus…. Le tout en couleur. S’il vous plait.
Un album qu’il faut absolument se procurer… Dès que j’aurai trouvé un éditeur, un mécène, un imprimeur, un donateur, que sais-je, un moyen pratique et concret de vous le rendre procurable.

La magnifique sculpture nommée « Godspell ruts » montre un être assis et enchaîné. Qu’as-tu voulu nous raconter là ?

J’ai pour principe de ne pas expliquer mes créations. Qu’as-tu compris, toi, c’est ce qui compte ; et chacun aura sa propre version, peut-être même une à laquelle je n’avais pas pensé moi-même.

Y a t-il des sculptures ou dessins que tu n’oses pas montrer au public et qui sont bien cachés au fin fond de ton atelier ?

Oui, tant par pudeur que par diplomatie, et, c’est pas avec les temps qui courent (ni avec ceux qui courent après) qu’on risque de les voir bientôt. Pas assez ni cons, ni sensuels.
Il y a pourtant de quoi faire un album aussi gros que l’autre , et tellement plus gras.

Qu’est ce qui te fait peur aujourd’hui dans le monde qui tourne autour de toi ?

Rien, sinon l’Humanité, avec un grand H, et je ne parle pas du journal de Jaurès.

Y a t-il des combats que tu mènes actuellement ?

Oui, je tâche d’élever deux enfants sans leur plomber le moral.

Que peut-on te souhaiter pour la suite ?

« 1,3,5,7,12 et retour au chaos » (sic MKB)


Un peu contradictoire, sans doute un peu schizophrène, à toi de deviner quand c’est LauL ou quand c’est Bol qui répond…